L’insatisfaction perpétuelle…

Oui, vous pouvez vous dire que ce n’est pas un sujet de psychologie… Mais laissez-moi vous montrer comment Scarface, le film culte de DePalma nous apprends de grands fondamentaux de psychologie. 

Il nous faut dès à présent poser le contexte pour que vous compreniez en quoi ce film est culte alors que le personnage de Tony Montana m’est particulièrement antipathique.

Scarface est un film sortie en 1983, de Brian de Palma, petit réalisateur qui, fun fact, découvrit robert de Niro dans « the wedding » party en 1963 même si le film sort au final en 1969. 

D’après un scénario de Oliver Stone il faut bien se douter que l’on est pas seulement dans un simple film de gangster mais un film qui aura une valeur de critique ou tout du moins de regard politique et social puisqu’Oliver Stone est un artiste engagé avec des idées fortes et assumées. Nier cet aspect du film est selon moi une grave erreur si on veut en comprendre le véritable regard et ce qu’il souhaite dénoncer.

En bref, l’histoire de scarface prend appui sur un fait réel : l’exode de Mariel. Un événement de l’histoire cubaine durant lequel le régime de Fidel Castro expulse près de 125 000 Cubains considérés comme contrerévolutionnaires. Le choix de De Palma, dès le début du film, en nous montrant des images d’archives, indique son souhait de nous montrer une réalité. En l’occurence Oliver Stone, nous propose son idée autour du désir de passer du communisme au libéralisme, par la fuite de Cuba vers les Étas-Unis. 

Toujours pas de psychologie mais patience, nous allons y venir…

Là où le plus souvent on entend parler de scarface comme l’ascension d’un homme partit de rien pour arriver au sommet – ce qui est la première strate de lecture – Tony Montana nous montre surtout l’ascension d’un homme qui est prêt à tout, qui ne respecte rien ni personne pour posséder et jouir toujours plus… Jusqu’à ce que ça le tue. 

En gros, la problématique psychologique que nous illustre Scarface, c’est la problématique « limite ». 

L’histoire de Tony Montana s’inscrit dans un passage du communisme où il se voit comme un mouton, vers la liberté et l’opulence, c’est à dire la promesse du rêve américain. Ce qui pour lui est synonyme d’avoir tout ce qu’il souhaite sans aucune limite. 

Pour ma part, ce que je souhaite pointer c’est le symptôme de Tony Montana. Un symptôme de plus en plus répandu et qui n’est que rarement remis en question dans notre culture occidentale. Savoir se poser des limites. Limiter sa jouissance. 

D’un point de vue psychopathologique, ce symptôme rend impossible le fait d’être heureux et d’être satisfait dans sa vie. Voyons ça directement avec Tony Montana,  personnage qui selon moi-mérite beaucoup de choses mais pas d’être érigé au statut d’icône… 

Attention la suite contient des spoilers.

 

Psychologie de Tony Montana

Dès le début du film, on voit que Tony parvient à s’extraire du camp de réfugié en tuant un homme. Ça annonce immédiatement la couleur. À aucun moment on peut nous faire croire que Tony respecte, les lois des hommes ou autres, il suit les opportunités qui mènent à ce qu’il convoite. Après une scène d’une rare violence dont Tony ressort plutôt vainqueur sur le plan business, il commence sa fameuse ascension dans laquelle il ne respecte pas son « boss » au point de lui piquer ouvertement sa femme et son réseau, il finit d’ailleurs par tuer son patron, manquer de respect à sa femme, tuer son meilleur ami et c’est au moment où on le voit pour la première fois avoir une position éthique : c’est en ne voulant pas tuer une femmes et des enfants innocents qu’il se retrouve enfin a avoir des ennuis qui causeront sa perte…

Bref, Tony Montana est un être horrible, certes, mais surtout il meure sans même avoir pu montrer de réels moments de bonheur. Et c’est ça qui nous intéresse sur le plan psychologique. 

Le fonctionnement psychologique de ce self made man qui aura gravi tous les échelons peut-il au final mourir quasi seul et sans avoir pu profiter véritablement de sa richesses, de voitures de luxe, d’une maison luxueuse (mais de mauvais goût), d’une belle femme, d’un ami de confiance… 

Et bien oui ! 

Le fait qu’il ne soit pas en mesure de limiter lui-même sa jouissance fait que cette limite ne puisse venir que d’un réel. C’est à dire de quelque chose qu’il ne peut se représenter ou imaginer.

Comment peut-il passer autant à côté de tout ce qui est sensé le rendre heureux puisque c’est ce qu’il a toujours convoité ? 

Et bien la psychologie et la psychanalyse nous donnent plusieurs pistes précieuses pour répondre à cette question : 

L’insatisfaction au service de la consommation

Malheureusement, la psychologie humaine nous montre constamment que l’être humain imagine des bénéfices certains face à un objet qu’il convoite pour finalement en être déçu une fois cette chose approchée, faite ou obtenue. La publicité fonctionne exactement sur ce processus : susciter l’envie et le désir en faisant miroiter au consommateur que c’est de telle ou telle chose dont il a besoin pour se sentir complet, sûr de lui ou encore heureux.

Rappelez-vous le nombre de fois ou vous avez désiré ardemment quelque chose pour qu’au final, au bout de quelques temps, vous n’en soyez plus satisfait et que vous commenciez naturellement à convoiter autre chose.

Et Tony il est complètement là dedans…

Cette phrase qui passe sur un zepplin : « the world is yours« , qu’il reprend sur une sculpture devant chez lui, nous dit clairement que le monde doit être à lui. Rien de moins.

Enfin, on peut aussi trouver une lecture similaire dans la bible lorsque Adam et Eve sont dans le jardin d’Eden et que la seule règle qui leur est donnée est qu’ils peuvent jouir de tout ce qui leur est offert, SAUF, de la pomme. Cette règle unique peut nous faire entendre que pour vivre au paradis et être heureux, il faut accepter de ne pas tout avoir, de savoir restreindre son désir pour qu’il y ai toujours du désir sans quoi, les difficultés arrivent…

Ce que j’observe très fréquemment dans mes séances, ce sont des hommes qui viennent consulter pour dépression et un manque flagrant de motivation pour toute chose une fois qu’ils ont 45-50 ans… Or, 45-50 ans, c’est souvent la période où les hommes ont fini par obtenir tout ce dont ils ont toujours rêvés. Ils ont enfin la situation professionnelle tant attendue, la femme, les enfants, le chien, l’écran plat, la belle voiture, et j’en passe. Passé ce moment, ils viennent en séance et ne savent plus du tout quel sens donner à leur vie. Ils sont comblés. Et ça les amis… L’être humain n’aime pas du tout. Mais alors pas du tout.

Le risque est alors d’aller chercher ailleurs ce qui semblerai faire défaut. Ils souhaitent changer de vie, de travail, de femme… Mais le plus fréquemment, de voiture. 🙂

Pour conclure

Vous l’aurez compris, Tony Montana est un éternel insatisfait puisqu’il est obnubilé et ne pense toujours qu’à ce qui lui manque et non pas à ce qu’il a déjà. Il se démène sans cesse pour obtenir toujours plus et se focalise sur ce qui serait censé lui manquer. 

Si vous aussi vous vous trouvez toujours être insatisfait, pensez un peu à Tony Montana, pensez à toutes les stars et personnalités réelles qui ont tout mais ne peuvent pour autant jamais se sentir heureux. 

La combine n’est donc pas d’avoir toujours plus, mais de savoir limiter son désir.

Savourer ce que l’on a accompli, aimer ce qui nous entoure déjà et, en même temps, rêver de ce qui serait encore faisable ou de quelle expérience on peut facilement se nourrir. 

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